Maj 20.02.2023

La fièvre des Hitmarkers

... Ou leur omniprésence dans le jeu moderne

S’il y a bien une signalétique qui a la dent dure depuis des années, un feedback roi dans le monde des shooters, de Call of Duty à la récente trilogie Hitman, c’est bien le hitmarker. Cette sorte de petite croix soulignant chaque coup au but, et souvent bien plus. Interloqués par son omniprésence, examinons son cas de plus près, interrogeons son systématisme.

On considérera avec le hitmaker tout ce qui vient supporter, préciser et appuyer l’impact qu’un coup au but et qui se pose, sous forme d’interface, sur le jeu. On inclura donc parfois des indications de score corollaires ainsi que son aspect audio.

De toutes les formes et de toutes les couleurs

Commençons sur de bonne base : pourquoi utilise t-on des hitmarkers ? Leur omniprésence dans le médium ne vient pas de nulle part, ils sont efficaces. D’abord, ils tiennent un rôle informatif, ils confirment au joueur qu’il a touché quelque chose - un quelque chose de particulier qui mérite qu’on l’alerte vraisemblablement. Le jeu reconnaît notre action et nous donne une information, non pas sur la trajectoire ou encore le point d’impact, mais sur le fait qu’il y eu impact. Le hitmarker confirme, son absence infirme.

Son second intérêt tient à son rôle d'exhausteur d’impacts. Le hitmarker vient, par une décharge visuelle et - souvent - sonore, appuyer les sensations du coup porté. Il sert autant à la lisibilité de l’action, qu’au Game Feel - le plaisir “matériel” du jeu, le juice. Un peu comme ce fromage qui s’effile sur des kilomètres, ce burger qui dégouline de gras donnant la nausée, il y aurait à la fois du Food et du Feedback Porn.

Call of Duty : Advanced Warfare
Call of Duty : Advanced Warfare

Son efficacité, son informativité, autant que son impact sur les sensations de jeu, dépendra évidemment de sa réalisation : son animation d'apparition et de disparition, sa forme, sa couleur, sa sonorité, etc.

Un bon exemple du poids que le hitmarker peut avoir dans le Game Feel, est l’importance que revêt le bruit sourd de ceux du récent Modern Warfare comparé aux sons de ses ancêtres. L’impression finale, ce sont des impacts plus bruts, une sensation d'armes qui “tapent”, comme des balles qui se logeraient dans des sacs de sable. Ces modifications accompagnent à merveille le Gun Feel plus viscéral et l'inertie plus lourde de ce reboot.

Mais ce n’est pas tout, cette recherche de plus d’impact, s’accompagne aussi parfois d’un nouveau substrat d’information. Prenons encore en exemple la licence boumboum panpan d’Activision, cette fois-ci Call of duty Advanced Warfare.

Dans cet épisode, les headshots sont signalés d’une double croix. On sait donc non seulement si on touche la cible, mais aussi où on la touche (tête ou reste du corps). La chose peut cependant aller plus loin encore. Dans les récents Hitman, les coups mortels ne sont pas signalés d’un hitmarker blanc, mais d’un rouge, ainsi sait-on si un coup a été mortel ou non. Mais le jeu de IO interactive ne s’arrête pas là, puisque si l’on tue une seconde cible alors qu’un hitmarker rouge est encore à l’écran, celui-ci va grossir. Ainsi passent les informations suivantes : touché, tué et multi-tué.

Battlefield 1
Battlefield 1

Dans des titres multijoueurs, ces informations vont souvent passer par un affichage complémentaire, comme des points de score par exemple. Ici, on prendra en exemple Battlefield. La licence panpan boumboum de DICE, non-contente d’offrir depuis les patchs de Battlefield 4 des hitmarkers graphiquement très riches en information (scale en fonction du nombre de dégâts notamment), va jusqu’à, dans les épisodes les plus récents, détailler le nombre de dégâts des projectiles sous forme de score.

En l’état, on comprend bien qu’il serait à présent difficile de se passer de la mine d’information que sont devenus les hitmarkers et leurs sous-produits. Ils ont évolué pour non seulement doper les sensations d'impacts, mais aussi offrir dans un format synthétique, graphique et immédiat de nouvelles informations de jeu aux joueuses et joueurs.

Partout, tout le temps

Si on peut expliquer, par de multiples facteurs, la prolifération des hitmarkers, comprenant ici et là, leur relative nécessité, notamment dans des titres multijoueurs en ligne, pour confirmer les actions et éliminations du joueur (hitmarker, sons, score, feed, etc), reste que beaucoup de jeux participent sans doute à banaliser ces couches d’interfaces sans trop de raison.

L’automatisme est tel que certaines licences historiques en ont ajouté dans leurs récentes itérations sans pour autant donner le change en options. Impossible donc dans Fallout 4 ou les derniers Hitman de les désactiver. A contrario, dans Metro, que ce soit la Redux Collection ou le convaincant Exodus, nous aurons la liberté d’en ajouter si on le souhaite. Leur présence par défaut dans Metro Last Light, et ce dans tous les modes de difficulté, avait de quoi interroger dans une licence qui par ailleurs tentait de limiter l’interface dans un souci d’immersion.

Metro 2033 redux
Metro 2033 redux

Même le récent Gears 5 s'est senti obligé d’en ajouter quand le presque identique Gears 4 lui, n’en comportait pas. Les hitmarkers semblent être devenus un automatisme.

Mâcher le travail

Ce qui nous chiffonne dans certains des jeux qui utilisent des hitmarker, c’est que leurs feedbacks visuels sont déjà très fouillés. Et là, on pense de nouveau à Gears of War (âmes sensibles s’abstenir), qui a déjà des animations diverses, du sang, du démembrement, des ragdolls et toute une batterie d'effets sonores percutants. Était-il bien nécessaire de couvrir le tout d’un nouvel élément d’interface ?

Hitman aussi est un exemple criant du même genre, alors même qu’il possède une localisation très précise des dégâts, de nombreux effets de particules, des traces de blessure sur les modèles ainsi que d'excellents ragdolls, il n’a pourtant pas su résister. Tout est déjà exprimé, visible et étonnament complet pour un jeu dont ce n’est même pas le cœur de gameplay (pas mal de choses héritées du controversé Absolution en vérité). Le souci, c'est que cette couche d’interface en vient à griller certaines subtilités.

Hitman 2
Hitman 2

Un ennemi peut tomber au sol sans être mort, sonné ou projeté en quelque sorte, mais à cause des informations du hitmarker, on ne peut pas se méprendre. La différence est pourtant déjà visible dans des subtilités de ragdoll, suggérant une blessure fatale ou non ; sans doute qu’un œil entraîné ne s’y méprendrait pas. Cependant, avec le hitmarker, l’information est “offerte”, alors qu’en son absence on aurait peut-être été incapable de percevoir la différence à distance ou gêné par obstacle.

Le hitmarker a rationnalisé ; pas de doutes, pas de jeu d’observation et d’attention aux signaux faibles, avec lui, c’est oui ou c’est non.

Le hitmarker est une signalétique tellement puissante qu'elle a tendance à masquer d'autres feedbacks (que l’on qualifierait donc de signaux faibles). Il limite l’attention du joueur ou de la joueuse (valide) en lui mâchant entièrement le travail. D’une option d’accessibilité, il est devenu un incontournable. Dans le pire des cas, c’est on peut parfois le voir comme une façon de camoufler la pauvreté d’un Gun Feel, ou l’aspect éponge à balles des cibles.

Can you stop me now ?

On trouve malgré tout des jeux qui savent mesurer leur élan. Dans l’excellent Rainbow Six Siege, l’absence de hitmarkers ne signe pas l’absence de feedback, on garde le son, un léger tressaillement et des projections de sang. Pour l’élimination, un équivalent de hitmarker visuel plus classique sous la forme d’une petite croix rouge et un affichage de score (que l’on pourrait voir comme dispensable).

Un bon Gun Feel peut souvent se passer de ce genre de choses, encore faut-il avoir confiance dans la lisibilité et l’audibilité du reste de ses feedbacks. Counter Strike non plus n’a pas de hitmarkers, qui oserait s’en plaindre ? Et on ne parle pas de la tripotée de FPS simili-réalistes style Squad ou Red Orchestra, qui de toute façon jouent dans une cour bien différente.

Rainbow Six : Siege
Rainbow Six : Siege

Il n'est pas rare de voir des jeux qui gagneraient à s’en passer, et ce, même sur le plan des sensations de jeu. De notre côté le choc fut avec le mode Hardcore de Battlefield 1 et Battlefield 4, qui sans être parfait, masquant une partie de l’interface (et notamment les signaux visuels du hitmarker), permettait d’apprécier plus en amont le travail de sound design, demandant une nouvelle dose d’attention stimulante.

Les hitmarkers avaient éclipsés une partie du paysage sonore et visuel du jeu, les enlever avait forcé notre attention et créé en bout de chaîne une expérience plus gratifiante et intense. Dans des parties classiques cependant, difficile d'envisager désactiver tous ces marqueurs sans s’imposer un sérieux désavantage comparé aux autres joueurs.

Overwatch
Overwatch

Enfin, finissons sur un jeu qui nous prouve qu’il n’est pas pour autant question de bannir les hitmarkers et la signalétique de façon générale, malgré les usages discutables que l’on peut observer.

Overwatch est un de ces excellents exemples, tant les hitmarkers ici, optimisent la lisibilité d’un jeu déjà saturé d’effet en évitant au passage d'ajouter d’autres surcouches cosmétiques incompatibles avec la nature multijoueur, compétitive et précise du jeu (effets de particule en tout genre, texture, déformation, animation, altération de mouvement, etc).

La priorité est donnée à la lisibilité dans un jeu où chaque personnage sollicite déjà ses propres effets visuels et sonores, qu’il est important d’identifier rapidement pour réagir en conséquence. Le Hitmarker facilite la prise d’information sur un aspect pour que l’attention puisse être redistribuée ailleurs. Le Hitmarker trouve dans Overwatch une vraie cohérence avec le reste du mix de feedback et la nature de l’expérience promue par le jeu.

Quelle place occupe chaque feedback par rapport aux autres ? Est-ce qu’à force de couches et de couches, certaines choses ne se perdent pas dans la mêlée ? Ce que met en évidence le hitmarker, c’est l’importance d’un point d’équilibre, et donc la fin d’un automatisme qui peut autant dénaturer le mix sonore et visuel, que rendre le jeu plus juicy, plus lisible et plus accessible.